24h de la vie de Z
Destrim, une cité possédant deux vies bien distinctes. Le jour, c’est une métropole comme toutes les autres, banale et en rien spéciale. La nuit, toutefois, elle s’éveille et s’anime. Les gratte-ciels illuminent le ciel, éclipsant les étoiles. Dans tous les recoins, néons et musique défient la noirceur. Les gens prennent réellement vie, car Destrim est nocturne et c’est pour cette raison qu’on y reste. Boîtes de nuits, bars, théâtres, restaurants… tout est ouvert jusqu’à l’aube. Ville de fête, ville d’excès, ville de péchés... ville de crimes.
00h30
Le téléphone sonne. Z prend l’appareil et répond. Une voix altérée maintenant familière lui donne un point de rendez-vous et une heure. La jeune femme raccroche et regarde sa montre. Parfait, elle a le temps de se changer et d’enfiler quelque chose de plus discret, mais toujours élégant. Elle attrape son sac à main et sort de son appartement. Dehors, la fête a déjà commencé depuis un bon moment. Z se fond dans la foule et disparaît.
00h50
Elle est un peu en avance, comme toujours. Autant elle déteste faire attendre les gens, autant elle n’aime pas attendre les autres. Heureusement, l’Ordre du Faucon Noir la connaît bien. Une silhouette se détache de l’ombre de la ruelle, derrière un club bien connu. Z ne distingue pas ses traits, mais ce n’est pas important. Elle est ici pour recevoir un petit papier plié. À l’intérieur, il y a un nom et une note : « Tu as 24 heures ». Elle enregistre l’information et sort un briquet de son sac. Brûlant le papier, elle en profite pour s’allumer une cigarette et rejoindre la rue principale sans un regard pour le messager qui est déjà parti.
1h15
Après avoir repoussé quelques vendeurs itinérants insistants, Z est enfin chez elle. Elle aurait bien aimé aller fêter et se joindre au reste de la population, mais le travail l’appelle. Elle a beau être une étudiante universitaire le jour, la nuit elle une tueuse à gages au service de l’Ordre du Faucon Noir. L’Ordre existe depuis des siècles à travers le monde, mais possède une base importante à Destrim. Dans une telle ville où l’excès est la norme, ses services sont très demandés. Spécialisé dans l’espionnage et l’assassinat, l’Ordre se mêle également des marchés de drogue et de prostitution.
Assise à son bureau, Z commence ses recherches. Elle doit trouver un certain Peter Andersen. Après quelques secondes, les résultats reviennent et le système a trouvé 33 Peter Andersen. 33? Z n’en revient pas! Elle les tuerait bien tous, mais elle se dit que la police trouverait ça louche de trouver le corps des 33 Peter Andersen vivant à Destrim. Lequel est le sien?
Habituellement, l’Ordre lui donne un indice lorsqu’il y a autant de personnes portant le même nom. Après tout, ce serait dommage de se tromper de cible. Rien d’irréparable, mais avec la limite de temps… Il y aurait dû y avoir quelque chose sous le nom, un trait particulier, un lieu fréquenté, une profession. Ne l’a-t-elle simplement pas vu? La ruelle avait été sombre malgré la lune, il était bien possible qu’elle l’ait manqué. Ça ne lui est jamais arrivé avant, de douter ainsi. Les yeux fermés, la tueuse à gages tente de se souvenir en visualisant la scène. Elle est arrivée, le papier lui a été tendu, elle l’a pris et déplié. Non, elle voyait assez bien. Il n’y avait qu’un nom et la contrainte de temps… que faire à présent? Il n’y a qu’une personne pour l’aider à la sortir de ce pétrin!
1h47
- Allo?
- Maman! J’ai besoin d’aide… Tu peux passer à l’appart, s’il-te-plait?
- Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie? Je suis un peu occupée en ce moment, tu crois que…
- Tu ne comprends pas, je ne PEUX pas faire mon « devoir ». Du tout.
- Soupir. Bon d’accord, je vais être là dès que possible.
1h48
Z raccroche et fait les cents pas. Elle s’assoit un instant, puis va dans la cuisine se faire un café. Ignorant quoi faire en attendant sa mère, trop angoissée pour être productive, elle finit par s’écraser devant la télévision pour écouter distraitement les reprises de séries télévisées. Il n’y a pas si longtemps qu’elle fait des missions solo et elle a encore à se prouver aux autres membres l’Ordre. Elle suit les pas d’une géante et la pression est grande puisqu’elle ne veut décevoir personne.
5h34
L’aube pointe et V, la mère adoptive de Z, n’est toujours pas arrivée. La jeune femme est de plus en plus nerveuse en voyant les heures passer. Elle sait que V a toujours priorisé le travail, également membre de l’Ordre. Après tout, elle a été élevée afin de penser ainsi. Ayant grandi parmi armes, poisons et équipement haute technologie, elle aimait par-dessus tout les jeux d’identité que sa mère lui inventait. Elle devait faire une crise au bon moment, ou se perdre, ou toucher à quelque chose qu’il ne fallait pas. En vieillissant, ces jeux sont devenus de plus en plus élaborés, mais restaient quelque chose qu’elle adorait. Encore aujourd’hui, elle prend plaisir à changer d’identité dès qu’une situation le requiert. Sa garde-robe est remplie de robes de tous genres et couleurs, d’accessoires et de perruques pour masquer sa chevelure de jais trop mémorable.
9h18
Sonnerie. Z sursaute et se précipite pour ouvrir la porte, se heurtant aux meubles au passage. Sa mère la pousse à l’intérieur et se dirige immédiatement au salon. Elle sait qu’elles pourront parler librement, l’appart ayant été sécurisé par l’Ordre.
- Dis-moi, c’est quoi le problème?
Droit au but, directe comme toujours.
- Je ne sais pas qui est ma cible.
- Comment, tu ne sais pas qui est ta cible? T’as déjà oublié le nom? Z, je croyais…
- Non, non! C’est pas ça. C’est plutôt qu’il y en 33. 33 Peter Andersen et je ne sais pas c’est lequel. Je n’ai que 24 heures!
- Ah…
- …
- Il n’y avait pas de précision sur ton papier? D’habitude…
- Non.
- Soupir. Bon, as-tu appelé le numéro d’urgence?
- Le… ?
- Z, le numéro d’urgence!
Z se met à rougir. Dans sa panique, elle a complètement oublié le numéro d’urgence. Elle était allée vers celle qui avait toujours trouvé des solutions pour elle, sa mère. L’impression d’être une débutante est incroyablement embarrassante et la jeune femme compose rapidement le numéro.
9h25
- Vous avez bien rejoint l’Ordre du Faucon Noir. Veuillez attendre qu’un agent se libère.
Une jolie musique classique commence et Z reste collée à l’appareil.
9h39
Z attend avec impatience en se rongeant les ongles. Elle commence à en avoir ras le bol de cette musique d’ascenseur pourrie!
- Veuillez nous pardonner du temps d’attente, je m’appelle H, comment puis-je vous aider?
- Enfin! J’ai un petit souci, vous voyez… j’ai reçu un contrat cette nuit sans indice pour identifier la cible. J’ai une limite de 24 heures et je suis un peu pressée.
- Ce n’est pas un problème, votre nom et celui de la cible, je vous prie?
- Z. Peter Andersen.
- Très bien, veuillez rester en ligne pendant que je vérifie le contrat concernant monsieur Anderson.
Z retient un cri de frustration tandis que la petite musique classique se remet à jouer.
9h54
- L’Ordre du Faucon Noir s’excuse pour le délai et la confusion. Nous avons retrouvé le contrat. Voici donc l’indice : piano. Bonne chance!
La voix a raccroché avant que Z puise la remercier. Un coup d’œil à l’horloge et elle constate que qu’il lui reste encore près de 14 heures. Ce ne sera pas suffisant afin de créer une mise en situation complexe, malheureusement. D’habitude, lorsqu’elle a le temps, Z surveille sa cible pendant quelques jours, voir des semaines. Si c’est quelqu’un d’intraverti, de solitaire ou d’un peu dépressif, elle peut forger une lettre d’adieu et faire croire à un suicide. Si c’est un gourmand, ou un gourmet, elle se déguise et s’arrange pour empoisonner sa nourriture. Ou alors, si c’est un buveur ou un fumeur, il lui est facile d’ajouter des drogues ou de modifier les substances qu’il absorbera. Parce que c’est efficace et discret lorsqu’on sait s’en servir, les poisons restent la méthode favorite de la tueuse à gages. Cependant, ça requiert du temps et de la recherche et elle ne peut se le permettre cette fois-ci.
9h57
- Bon, je te laisse, tu devrais pouvoir t’en occuper seule maintenant. J’ai besoin de dormir.
De retour à son bureau, Z marmonne un « ok » distrait. V s’approche, hésite, puis dépose un baiser sur la tête de sa fille.
- Tu devrais te reposer un peu aussi…
- Mmm?
Z relève la tête.
- Ah, pas le temps. Merci d’être venue, maman…
V sourit brièvement, puis quitte l’appartement. Z retourne à son écran sans tarder.
10h12
Enfin! Z identifie son Peter Andersen. Il s’agit d’un professeur de piano réputé dans un quartier plus riche de la ville. Appartements luxueux, restaurants chics, magasins de marque… Elle avait étudié à l’école privée en question dans son enfance pour apprendre le violon. Elle avait été absolument nulle en musique, mais V en avait profité pour espionner et créer une amitié avec la mère d’un autre étudiant soupçonnée d’adultère par son mari.
10h41
Une fois surplace, Z fait un tour rapide de l’école pour repérer entrées et sorties. Il est encore tôt, cependant, et elle ne peut pas simplement entrer dans une classe et assassiner le professeur sans traumatiser les élèves. Et puis, ce ne serait pas très discret. Il lui faudra attendre le couvert de la nuit. En attendant, elle trouve une branche pour se percher dans un arbre lui offrant une vue sur la petite classe d’Andersen et attend patiemment.
15h30
Les cours sont terminés, les élèves commencent à quitter l’établissement. Z attend toujours, il faut qu’elle trouve un moment seule avec Andersen. Elle le voit à travers la fenêtre, assis à son bureau. Il met un peu d’ordre dans ses effets, puis se lève et se dirige vers le piano. Les notes se rendent jusqu’aux oreilles de la tueuse à gages, d’abord une mélodie enfantine enseignée aux enfants, puis il fait la transition vers une pièce qu’elle ne connait pas. Une de ses propres créations?
16h27
Andersen quitte finalement sa classe et se dirige vers le stationnement. Seule sa voiture y est, les autres employés étant déjà rentrés chez eux se reposer avant la nuit. Z descend de son arbre et s’approche silencieusement. Cachée derrière un arbuste, elle attend que sa cible lui fasse dos, puis elle envoie une dague précise. Même si la lame ne le tue pas immédiatement, le métal a été trempé dans un mélange de poison fatal. La jeune femme récupère son arme et peut donc rentrer chez elle pour s’endormir l’esprit tranquille. Il était temps, d’ailleurs, elle était épuisée.
Le soir même, Peter Anderson, un célèbre pianiste fait apparition sur une des plus grandes scènes de Destrim. Durant la performance du virtuose, l’Ordre du Faucon Noir reçoit un appel demandant un remboursement puisque l’assassinat a de toute évidence échoué.
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