May 20, 2014

Exercice 8

Dans le cadre de mon second cours d'atelier, je devais écrire un texte de 8 pages, le dernier de la session. Suite aux commentaires de mes camarades de classe, il fallait procéder à la réécriture de ce texte. Voici donc la version finale!

Escapade

La cellule était d’un vert-gris morose. Il n’arrivait plus à se souvenir de la dernière fois qu’il avait vu le ciel. Il lui semblait avoir toujours été dans cette pièce minuscule dont la seule ouverture était des barreaux donnant sur un couloir du même vert pâle. Personne n’était venu le visiter depuis ce qui lui semblait être des siècles, à moins qu’on compte les robots qui venaient lui porter ses repas, des machines sans cœur qui ne parlaient pas. Il était laissé à lui-même, seul avec ses cauchemars.

Son nom était… quelle était l’importance d’un nom? Qu’était-ce un nom s’il n’y avait personne pour le dire? Prisonnier Numéro 04217, voilà qui il était à présent. Le seul crime dont il pouvait se rappeler avoir jamais commis était du blanchiment d’argent grâce aux casinos. Il avait appris à aimer l’ambiance bruyante et artificielle qui l’avait d’abord déstabilisé. Même jouer était devenu un plaisir, était-ce si grave?

Pour tromper la solitude, ou était-ce la folie qui le rattrapait, il lui arrivait d’imaginer la présence de personnes qui lui étaient chères. Celle qui lui apparaissait le plus souvent était bien sûr Élise, sa fiancée. Il ne savait pas ce qu’elle devenait, il n’avait reçu aucune lettre. Savait-elle seulement où il était?

- Je t’aime, mon amour… je t’attends à la maison et quand tu rentreras, je te cuisinerai ton repas préféré.

Elle souriait et il pouvait presque sentir la chaleur de son corps lorsqu’il tentait de caresser son visage.

- Élise, Élise, Élise… tu me manques tellement. Je vais trouver un moyen de te retrouver. Il faut…

Un ricanement. Une voix nouvelle se fit entendre à travers le mur.

- À qui tu parles, le gros?

04217 ne comprit pas immédiatement qu’on s’adressait à lui, il n’était pas gros! Il tourna toutefois la tête vers la cellule adjacente.

- Eille, ça te dirait qu’on se tire?

04217 était tenté par la proposition. Il n’avait nulle envie de rester enfermé à jamais avec ses visions. Il voulait être avec la vraie Élise, les figements de son imagination n’étant plus satisfaisants. Il ne savait pas quand il aurait la chance de partir. Il n’avait pas d’avocat, il ne savait même pas s’il avait un cas à défendre. Le nouveau continuait de parler, développant son idée.

- C’est pas la première fois que je viens ici, tu sais. C’est pas super bien gardé et puis à force d’essayer, j’ai perfectionné mon plan. Par contre, j’ai besoin de toi… Tu crois être capable d’attirer un gardien pour lui voler les clés et son uniforme?

04217 réfléchissait rapidement. Il avait réellement envie de partir, de retrouver sa fiancée et de trouver des réponses à ses questions. Il n’était pas certain de pouvoir faire confiance à ce prisonnier, mais il ne voyait pas tellement quelles autres options il avait.

- Au fait, moi c’est Daryl. Honnêtement, j’espère que t’es prêt pour l’aventure parce que j’y arriverai pas seul et il est pas question que je reste dans ce trou!

Suivant son intuition, 04217 décida de tenter sa chance. Il n’avait absolument rien à perdre, après tout. Le pire qui pouvait arriver serait d’être réincarcéré et il avait vraiment envie de quitter cet endroit. Pour Élise, il accepta la proposition et écouta attentivement le plan. Tout se déroulerait en trois étapes.

Phase 1. Tout d’abord, il fallait attirer les gardes. Pour ça, il suffirait de faire assez de bruit. 04217 était bien connu dans la prison pour ses monologues. Il n’avait jamais été bien dérangeant, mais quelques prisonniers particulièrement sensibles s’irritaient lorsqu’Élise le visitait la nuit.

- Bonsoir, mon amour…

Il sourirait et jouerait le jeu, mais cette illusion qu’il s’était créée ne le convainquait plus. Il était tellement proche de son but, de retrouver Élise, il en était fébrile.

- Ma chérie, ce ne sera plus long. Dans quelques jours, je serai assis à ta table, je mangerai ton délicieux porc rôti et tes patates pilées. Peut-être serai-je assez chanceux pour avoir une tarte au citron?

Elle rirait de la même façon que dans ses souvenirs, la joie de vivre transpirant dans sa voix. Et le cœur de 04217 se serrerait devant sa beauté, ses boucles blondes tombant parfaitement sur ses épaules, ses lèvres rouges et ses yeux si bleus. Il rirait avec elle, parce qu’il l’aimait et il était heureux à l’idée qu’il serait bientôt à nouveau à ses côtés.

Après quelques temps, Daryl interviendrait.

- Eille, ta gueule! Un gars peut pas dormir en paix?

Le tapage augmenterait d’un cran. Daryl taperait de ses poings le mur commun à leur cellule. Ils s’échangeraient quelques insultes. Éventuellement, un gardien ferait son apparition.

- Qu’est-ce qui se passe, ici?

- Le fou d’à côté veut pas arrêter de parler! J’arrive pas à dormir! T’as pas un calmant à lui donner?

- Encore? Son cas ne s’améliore pas, à celui-là…

Le gardien naïf s’approcherait assez des barreaux pour que Daryl puisse le toucher. D’une pression de ses doigts dans le cou, le gardien tomberait sans connaissance et Daryl prendrait les clés. Puis, il enfilerait le costume du gardien et libérerait 04217.

- Aller, on file! Vite!

Phase 2. Avec les clés, c’était facile de sortir de l’unité. 04217 devrait rester caché jusqu’à ce que Daryl lui fasse signe. Au poste de sécurité, il y aurait un autre gardien, mais il serait plongé dans son roman. Rien ne se passait ici de toute façon, les prisonniers avaient toujours été calmes. Il n’avait qu’à faire ses rondes deux fois par nuit. Son collègue serait de retour après avoir calmé le fou, il n’était pas inquiet. Ça arrivait régulièrement.

Daryl s’approcherait par derrière et l’assommerait. Il sifflerait et 04217 pourrait quitter sa cachette. À son tour, il enfilerait un uniforme de gardien. Le déguisement était surtout pour tromper les robots, programmés pour différencier prisonniers des gardes par leurs habits. Il y en avait plusieurs dans les couloirs, mais comme Daryl l’avait prédit, il suffisait de garder la tête baissée et on les laisser passer.

Phase 3. Il ne restait que quelques postes avec d’autres gardiens entre la sortie et eux. C’était là que les choses pourraient se corser, puisque les humains étaient plus difficiles à tromper. Heureusement, tellement habitués de travailler avec les machines, ceux-ci ne s’inquiétaient pas tant que les robots ne donnaient pas l’alarme. Et si on les questionnait, Daryl dit qu’il s’en occuperait. Ils étaient tellement près du but!

- Excuse-moi, tu vas où?

- On va fumer, c’est correct?

04217 garderait la tête baissée tandis que Daryl parlerait. Il se ferait discret, question de ne pas se faire remarquer. L’homme qui les avait interpellés hésita un instant, puis haussa des épaules.

- Ok, fais ça vite! On n’est pas supposé prendre des pauses pendant notre quart de travail…

Une fois dehors, ils prendraient la voiture du gardien dont ils ont les clés et se dirigeraient vers la ville la plus proche.

- Tu vois, c’était facile, non?

Daryl rit, mettant la radio sur un poste de vieille musique rock. Ils étaient maintenant en liberté et pouvaient se rendre où ils le voulaient. Daryl avait des plans pour eux, évadés de prison. Tant qu’ils ne se feraient pas prendre, ils n’avaient pas à s’inquiéter.

- Pour la bouffe et l’argent, on n’aura qu’à voler. J’ai fait ça toute ma vie, c’est super simple. Et maintenant, avec toi comme complice, rien n’est impossible!

Personne ne semblait être à leur poursuite. L’aube se levait tandis qu’ils roulaient à pleine vitesse. Ils s’arrêtèrent à une petite ville située à une heure de la prison isolée dans le désert. Daryl trouva une station de ravitaillement pour véhicules, robots et humains. À l’intérieur, un commis boutonneux à moitié endormi les accueillit. Daryl l’assomma et empocha l’argent de la caisse pendant que 04217 leur trouvait des vêtements plus simples. Jeans, T-shirt, casquette. Ils se changèrent et sortirent, puis choisirent une voiture au hasard stationnée dans la rue et reprirent la route. La ville encore endormie ne s’aperçut du crime quelques heures plus tard, mais ils étaient déjà loin.

La musique plein les oreilles, une cigarette dans la bouche, Daryl parlait de ses plans pour tous les deux.

- Tu verras, ce sera la belle vie. Toi et moi. On peut aller où tu veux. T’as une fiancée, non? On peut aller la chercher, si tu veux. Je suis sûr qu’elle aimerait voyager avec nous! Parce qu’on ne quittera pas la route, hein! J’aime trop rouler, et puis c’est ce qu’il y a de plus sécuritaire, pour échapper aux policiers. Continuer de bouger, tout le temps. Il y a beaucoup à voir dans le monde de toute façon. T’es déjà allé à Destrim? C’est vraiment super, plein de casinos et de clubs, de restos chics. Ta femme aimerait ça et on fera fortune!

04217 se permit de sourire. Il se sentait bien, le vent dans le visage, le ciel ouvert. Il pouvait maintenant retrouver Élise, s’expliquer, s’excuser. Un nouveau commencement.

* * *
Daryl Polensky s’est échappé de l’institut psychiatrique Ange Gardien mardi soir et personne ne l’a encore trouvé. Il est connu pour de sérieuses crises de schizophrénie et il est instable. J’ai peur pour lui. Ses actions sont imprévisibles et il peut être violent. Il n’a jamais fait de mal à personne, mais lorsqu’il ne prend pas ses médicaments…

Daryl et moi, nous devions nous marier. Sa maladie était alors contrôlée. Un soir, je l’ai entendu parler à quelqu’un. Je pensais qu’un de ses amis était là, mais je l’ai trouvé seul, dans le salon, une bière à la main. Lorsque je lui en ai parlé un peu plus tard, il m’a avoué avoir arrêté son traitement. Il disait qu’il n’en avait plus besoin, qu’il était assez bien depuis nos fiançailles. J’ai paniqué et je lui ai dit que je ne pourrais pas rester s’il ne prenait pas sa médication. C’était une grosse erreur. Il m’a frappé, j’ai pleuré. Ses parents sont venus le chercher et l’ont amené à l’hôpital. Ils m’ont dit plus tard qu’il avait été placé dans un institut psychiatrique et que son état empirait. Je ne suis jamais allée le voir… J’aurais dû…

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