May 30, 2013

Aequilibrium - Deuxième partie

Alyah se réveilla, la tête lourde. À travers sa fenêtre, elle pouvait voir le soleil se levant à nouveau sur Destrim. Avait-elle donc dormi toute une journée? Des images de la veille lui revenaient peu à peu, floues : la boîte pleine, la musique, la femme rousse, ses paroles… Elle s’assit dans son lit, massant ses tempes. Avait-elle rêvé ou était-ce réellement arrivé? Elle avait cru les paroles lorsqu’elle les avait entendues, mais en ce moment, elle doutait puisque ça lui semblait si impossible. Elle n’avait pas à décider maintenant ce qui était vrai et ce qui était faux. Pour le moment, elle avait vraiment envie d’une douche et d’un café.

Lorsque l’adolescente apparut dans la cuisine, une employée de l’hôtel était déjà en train de lui préparer un petit déjeuner. De l’autre côté de la pièce, un homme en veston et cravate noirs était assis sur le canapé, écoutant les nouvelles matinales. Ce n’était pas Monsieur Evans, l’inconnu était trop jeune. Et puis, il était blond. Elle reconnut après quelques instants le garde du corps qui l’avait approchée la veille. Que faisait-il ici? Était-il resté pour veiller sur elle? Connaissant son père, en apprenant ce qui s’était passé, il lui collerait des gardes 24 heures sur 24 pendant quelques jours. Il n’était pas très présent, mais il aimait se mêler de sa vie. Ça ne l’irritait vraiment que lorsque ça venait interférer avec ses plans. Pour le moment, si ce n’était que le jeune capitaine, elle pourrait s’en accommoder. Elle n’avait pas envie d’une escorte de trente hommes, c’était trop peu discret.

Prenant son café dans une main et une assiette remplie de fruits frais et de crêpes, elle alla prendre place à côté de son garde du corps. Elle prit une gorgée et écouta les nouvelles avec lui. Rien d’intéressant, comme toujours. Les nouvelles locales ne faisaient que promouvoir les prochains événements spéciaux de la ville, et il y en avait tous les jours. Les nouvelles mondiales étaient trop souvent pessimistes : des rapports de guerre, de meurtres, de rébellions. Le monde était rarement preuve de bonnes choses.

- J’imagine que mon père t’a demandé de veiller sur moi pour les prochains jours… Si je ne me trompe, tu es haut gradé malgré ton air jeune. Il ne t’aurait pas assigné à cette tâche si tu n’étais pas qualifié.
- Votre père ne veut que votre bien, Miss Evans. Il s’inquiète de votre sécurité.
- J’en suis certaine. Tu connais mon nom, mais je ne connais pas le tiens. D’ailleurs, appelle-moi Alyah, ou même Aly. C’est trop formel et si tu es pour me tenir compagnie, autant tenter de s’entendre.
- Dantalian, Miss Evans. Alyah.
- Dan, alors. Tu as faim?

Elle lui passa l’assiette et il prit un morceau d’orange, la remerciant d’un simple signe de tête. Les autres avaient été plus familiers avec elle, mais elle avait été plus jeune. Celui-ci serait plus difficile à dompter... Elle n’était pas découragée pour autant et comptait réussir. Elle pouvait se montrer impatiente dans certaines situations, mais lorsqu’il s’agissait de manipuler ceux autour d’elle, elle prenait le temps qu’il fallait pour s’assurer leur loyauté. Elle n’aimait pas les échecs, et elle détestait toute forme de trahison.

La jeune fille finit de manger et vida sa tasse avant de retourner dans sa chambre. Elle avait cours plus tard et elle devait se changer. Elle n’avait pas particulièrement envie de s’asseoir en classe et s’ennuyer, mais ça lui donnerait une occasion de réfléchir en paix à sa rencontre d’hier. Elle ne pensait pas que la présence de Dantalian soit un problème, ses enseignants étaient au courant de sa situation. D’ailleurs, le garde du corps était très professionnel, il se ferait discret. Bien qu’au début, ses compagnons avaient été très remarqués et pouvaient mettre certaines personnes mal à l’aise, les étudiants comme les enseignants s’étaient rapidement habitués à leur présence. Et puis, Aly n’était pas la seule personne qui avait un statut particulier et d’autres arrivaient également accompagnés. C’était une école haute gamme, ce n’était pas vraiment étonnant.

À son bureau, elle regardait le professeur d’un air plutôt absent. La journée venait de commencer et déjà, elle était plongée dans ses pensées. Elle se remémorait la femme rousse qui l’avait approchée. Tout avait semblé si réel… le temps avait réellement semblé s’arrêter lorsqu’elle lui avait parlé de cette guerre entre Anges et Démons. Était-ce possible que des êtres de lumière et de ténèbres soient cachés parmi eux, vivant dans leur univers en attendant que leur temps vienne? Était-ce possible qu’elle soit un de ces guerriers faisant un pacte avec eux, changeant l’équilibre du monde? Elle avait dit qu’elle développerait des pouvoirs particuliers, mais elle n’arrivait pas à visualiser une telle chose. C’était impossible de voler comme un oiseau, de lire les pensées des autres, de manipuler les éléments… C’était bien de ce genre de pouvoir fantastique dont elle parlait?

La journée passa et Alyah n’avait toujours pas décidé si elle croyait à cette histoire. Si c’était possible, elle n’était que plus confuse. Avec du recul, elle était presque persuadée que la femme avait été folle, mais une partie d’elle-même la suppliait de faire attention. Si elle se trouvait réellement mêlée à tout cela et qu’elle n’était pas prête, elle perdrait certainement sa vie dans cette guerre.

En arrivant chez elle, l’adolescente courut s’enfermer dans sa chambre. Elle venait de se rappeler un détail qui lui avait échappé jusqu’à maintenant. La femme, Kiriel, lui avait donné une pièce d’argent qui lui permettrait de communiquer avec elle. Elle avait envie de lui parler, de clarifier certains points. Et peut-être d’accepter ce qu’elle lui avait dit la veille.

Elle ne savait pas exactement comment invoquer l’Ange, mais elle décida que la meilleure façon de s’adresser à un agent des dieux serait de prier. Tenant la pièce dans ses mains, les yeux fermés, elle s’adressa à Kiriel en silence.

« Kiriel, entends ma prière. Je désire te voir et te parler. Je suis confuse et j’ai besoin de toi pour me guider. »

Elle n’était pas certaine si ça allait fonctionner, mais si elle n’essayait pas, elle ne le saurait jamais. Si elle échouait, alors ce serait la preuve que la femme n’avait qu’une personne folle ou saoule, tout aussi convaincante avait-elle été. Si elle venait à elle, alors…

Un instant plus tard, un bruissement d’ailes se fit entendre et l’atmosphère dans la pièce changea subitement. Comme auparavant, la lumière semblait s’adoucir et le temps, ralentir. Kiriel se tenait devant elle, un sourire aux lèvres.

- Alyah. Je ne m’attendais pas à te voir aussi tôt. Comment puis-je t’aider?
- Alors c’était vrai… murmura la jeune fille.

Elle soupira, soulagée et anxieuse à la fois. Elle ne savait pas comment réagir à tout cela, elle ignorait où était sa place dans cette guerre. Elle n’était même pas certaine de vouloir être impliquée dans cette histoire fantastique.

- Parle-moi plus des Fighters, Kiriel, demanda-t-elle après un moment, je ne sais pas si j’en suis réellement un.
-  Les Fighters sont ceux qui font souvent la différence dans les combats entre les Anges et les Démons. Vous êtes les éléments aléatoires puisque personne ne peut vous contraindre à choisir. Lorsque vous vous ralliez à un camp, vous y restez jusqu’à votre mort ou celle de votre Gardien. Alors, vous perdez vos pouvoirs et devez retourner à une vie simple.
- Mais quels pouvoirs? Comment puis-je savoir ce qu’ils sont?
- Tout dépend du Fighter, ma chère. Je ne peux prévoir comment ils vont se manifester, ou quand. Je peux t’aider à les développer et à les maîtriser, si tu le désires. C’est la tâche du Gardien, habituellement, mais tant que tu n’auras pas choisi ton camp, je serai là pour toi.
- Dois-je choisir un camp? Est-ce obligatoire de faire partie de tout cela? Je n’ai pas envie d’une guerre, c’est…c’est trop.

Elle secoua de la tête, comme pour tenter d’éloigner les pensées négatives qui lui venaient à l’esprit. L’équilibre du monde, reposer sur ses épaules à elle? Elle n’avait que seize ans!

- Je comprends que c’est beaucoup d’information à assimiler, mais oui, tu dois choisir. Certains ne te laisseraient pas vivre en sachant que tu n’as pas choisi, parce que tant que tu n’as pas de Gardien, tu peux t’allier à l’ennemi en tout temps. Le plus tôt, le mieux. Ainsi tu seras protégée par ton Gardien.
- Si je choisi la Lumière, seras-tu mon Gardien, Kiriel?

Aly la regarda avec intensité. Si elle devait avoir un Ange à ses côtés, elle voulait elle. Après tout, c’était elle qui était venue la voir en premier, c’était elle qui la rassurait et qui la protégeait, non?

- Je ne sais pas… je… Ce n’est pas moi qui assigne les Gardiens aux Fighters. Je ne suis qu’une messagère parmi tant d’autres. Je dois obéir aux ordres de mes supérieurs, mais je peux t’assurer que quel que soit l’Ange qui te serait assigné, tu serais entre bonnes mains.

L’adolescente hocha de la tête, déçue. Elle avait besoin de réfléchir à tout cela et elle laissa l’Ange retourner à ses devoirs. Lorsqu’elle fut à nouveau seule, elle s’assit sur son lit, les genoux contre sa poitrine, et resta plongée dans ses pensées. Elle ne sortirait pas, ce soir…

Kiriel sentit son cœur fondre pour la jeune fille, comprenant qu’elle avait beaucoup de difficulté à accepter son nouveau destin. Il n’était pas aussi glorieux qu’elle tentait de lui faire croire. C’était un destin sombre pour les humains, être l’objet de désir des Anges et des Démons, un instrument de pouvoir qui pouvait tomber aux mains de n’importe qui. Habituellement, les premiers à les trouver se les ralliaient avec de belles paroles, des promesses de gloire ou autres. Souvent, des mensonges. Les Fighters étaient les premiers à mourir, et rares étaient ceux qui voyaient leur Gardien mourir et pouvaient retourner à leur ancienne vie librement.

Elle avait envie de protéger l’adolescente, d’être son Gardien, mais elle n’avait aucun pouvoir sur cette décision. Elle ne pouvait qu’être là pour Alyah tant et aussi longtemps qu’elle n’aurait pas choisi son camp. L’instant où un Gardien se lierait à elle, l’Ange savait qu’elle devrait prendre de nouveaux ordres. Elle l’avait observée depuis si longtemps, connaissait sa solitude, et elle ne voulait que lui tenir compagnie… Mais les ordres étaient les ordres et elle répondit à l’appel, disparaissant aussi subitement qu’elle était arrivée.

Dans le salon, Dantalian écoutait la conversation, les sourcils froncés. Ce n’était pas de bonnes nouvelles… maintenant, il savait qu’il était arrivé trop tard. Heureusement, il avait été assigné à la fille et serait avec elle en permanence. Il avait encore la chance d’agir, mais ce serait délicat. Il devait attendre que l’Ange parte d’abord, ce serait ensuite à son tour. Le plus dur était fait, il pouvait remercier Kiriel pour cela. Ironique, quand même, qu’ils tentent tous les deux à nouveaux de lier le même Fighter…

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