Alyah se réveilla, la tête lourde. À
travers sa fenêtre, elle pouvait voir le soleil se levant à nouveau sur
Destrim. Avait-elle donc dormi toute une journée? Des images de la veille lui
revenaient peu à peu, floues : la boîte pleine, la musique, la femme
rousse, ses paroles… Elle s’assit dans son lit, massant ses tempes. Avait-elle
rêvé ou était-ce réellement arrivé? Elle avait cru les paroles lorsqu’elle les
avait entendues, mais en ce moment, elle doutait puisque ça lui semblait si
impossible. Elle n’avait pas à décider maintenant ce qui était vrai et ce qui
était faux. Pour le moment, elle avait vraiment envie d’une douche et d’un
café.
Lorsque l’adolescente apparut dans la
cuisine, une employée de l’hôtel était déjà en train de lui préparer un petit
déjeuner. De l’autre côté de la pièce, un homme en veston et cravate noirs
était assis sur le canapé, écoutant les nouvelles matinales. Ce n’était pas
Monsieur Evans, l’inconnu était trop jeune. Et puis, il était blond. Elle
reconnut après quelques instants le garde du corps qui l’avait approchée la
veille. Que faisait-il ici? Était-il resté pour veiller sur elle? Connaissant
son père, en apprenant ce qui s’était passé, il lui collerait des gardes 24
heures sur 24 pendant quelques jours. Il n’était pas très présent, mais il
aimait se mêler de sa vie. Ça ne l’irritait vraiment que lorsque ça venait
interférer avec ses plans. Pour le moment, si ce n’était que le jeune
capitaine, elle pourrait s’en accommoder. Elle n’avait pas envie d’une escorte
de trente hommes, c’était trop peu discret.
Prenant son café dans une main et une
assiette remplie de fruits frais et de crêpes, elle alla prendre place à côté
de son garde du corps. Elle prit une gorgée et écouta les nouvelles avec lui.
Rien d’intéressant, comme toujours. Les nouvelles locales ne faisaient que
promouvoir les prochains événements spéciaux de la ville, et il y en avait tous
les jours. Les nouvelles mondiales étaient trop souvent pessimistes : des
rapports de guerre, de meurtres, de rébellions. Le monde était rarement preuve
de bonnes choses.
- J’imagine que mon père t’a demandé de
veiller sur moi pour les prochains jours… Si je ne me trompe, tu es haut gradé
malgré ton air jeune. Il ne t’aurait pas assigné à cette tâche si tu n’étais
pas qualifié.
- Votre père ne veut que votre bien, Miss
Evans. Il s’inquiète de votre sécurité.
- J’en suis certaine. Tu connais mon nom,
mais je ne connais pas le tiens. D’ailleurs, appelle-moi Alyah, ou même Aly.
C’est trop formel et si tu es pour me tenir compagnie, autant tenter de
s’entendre.
- Dantalian, Miss Evans. Alyah.
- Dan, alors. Tu as faim?
Elle lui passa l’assiette et il prit un
morceau d’orange, la remerciant d’un simple signe de tête. Les autres avaient
été plus familiers avec elle, mais elle avait été plus jeune. Celui-ci serait
plus difficile à dompter... Elle n’était pas découragée pour autant et comptait
réussir. Elle pouvait se montrer impatiente dans certaines situations, mais
lorsqu’il s’agissait de manipuler ceux autour d’elle, elle prenait le temps
qu’il fallait pour s’assurer leur loyauté. Elle n’aimait pas les échecs, et
elle détestait toute forme de trahison.
La jeune fille finit de manger et vida sa
tasse avant de retourner dans sa chambre. Elle avait cours plus tard et elle
devait se changer. Elle n’avait pas particulièrement envie de s’asseoir en
classe et s’ennuyer, mais ça lui donnerait une occasion de réfléchir en paix à
sa rencontre d’hier. Elle ne pensait pas que la présence de Dantalian soit un
problème, ses enseignants étaient au courant de sa situation. D’ailleurs, le
garde du corps était très professionnel, il se ferait discret. Bien qu’au
début, ses compagnons avaient été très remarqués et pouvaient mettre certaines
personnes mal à l’aise, les étudiants comme les enseignants s’étaient
rapidement habitués à leur présence. Et puis, Aly n’était pas la seule personne
qui avait un statut particulier et d’autres arrivaient également accompagnés.
C’était une école haute gamme, ce n’était pas vraiment étonnant.
À son bureau, elle regardait le
professeur d’un air plutôt absent. La journée venait de commencer et déjà, elle
était plongée dans ses pensées. Elle se remémorait la femme rousse qui l’avait
approchée. Tout avait semblé si réel… le temps avait réellement semblé
s’arrêter lorsqu’elle lui avait parlé de cette guerre entre Anges et Démons.
Était-ce possible que des êtres de lumière et de ténèbres soient cachés parmi
eux, vivant dans leur univers en attendant que leur temps vienne? Était-ce
possible qu’elle soit un de ces guerriers faisant un pacte avec eux, changeant
l’équilibre du monde? Elle avait dit qu’elle développerait des pouvoirs
particuliers, mais elle n’arrivait pas à visualiser une telle chose. C’était
impossible de voler comme un oiseau, de lire les pensées des autres, de
manipuler les éléments… C’était bien de ce genre de pouvoir fantastique dont
elle parlait?
La journée passa et Alyah n’avait
toujours pas décidé si elle croyait à cette histoire. Si c’était possible, elle
n’était que plus confuse. Avec du recul, elle était presque persuadée que la
femme avait été folle, mais une partie d’elle-même la suppliait de faire
attention. Si elle se trouvait réellement mêlée à tout cela et qu’elle n’était
pas prête, elle perdrait certainement sa vie dans cette guerre.
En arrivant chez elle, l’adolescente
courut s’enfermer dans sa chambre. Elle venait de se rappeler un détail qui lui
avait échappé jusqu’à maintenant. La femme, Kiriel, lui avait donné une pièce
d’argent qui lui permettrait de communiquer avec elle. Elle avait envie de lui
parler, de clarifier certains points. Et peut-être d’accepter ce qu’elle lui
avait dit la veille.
Elle ne savait pas exactement comment
invoquer l’Ange, mais elle décida que la meilleure façon de s’adresser à un
agent des dieux serait de prier. Tenant la pièce dans ses mains, les yeux
fermés, elle s’adressa à Kiriel en silence.
« Kiriel, entends ma prière. Je
désire te voir et te parler. Je suis confuse et j’ai besoin de toi pour me
guider. »
Elle n’était pas certaine si ça allait
fonctionner, mais si elle n’essayait pas, elle ne le saurait jamais. Si elle
échouait, alors ce serait la preuve que la femme n’avait qu’une personne folle
ou saoule, tout aussi convaincante avait-elle été. Si elle venait à elle, alors…
Un instant plus tard, un bruissement
d’ailes se fit entendre et l’atmosphère dans la pièce changea subitement. Comme
auparavant, la lumière semblait s’adoucir et le temps, ralentir. Kiriel se
tenait devant elle, un sourire aux lèvres.
- Alyah. Je ne m’attendais pas à te voir
aussi tôt. Comment puis-je t’aider?
- Alors c’était vrai… murmura la jeune
fille.
Elle soupira, soulagée et anxieuse à la
fois. Elle ne savait pas comment réagir à tout cela, elle ignorait où était sa
place dans cette guerre. Elle n’était même pas certaine de vouloir être impliquée
dans cette histoire fantastique.
- Parle-moi plus des Fighters, Kiriel, demanda-t-elle
après un moment, je ne sais pas si j’en suis réellement un.
-
Les Fighters sont ceux qui font souvent la différence dans les combats
entre les Anges et les Démons. Vous êtes les éléments aléatoires puisque
personne ne peut vous contraindre à choisir. Lorsque vous vous ralliez à un
camp, vous y restez jusqu’à votre mort ou celle de votre Gardien. Alors, vous
perdez vos pouvoirs et devez retourner à une vie simple.
- Mais quels pouvoirs? Comment puis-je
savoir ce qu’ils sont?
- Tout dépend du Fighter, ma chère. Je ne
peux prévoir comment ils vont se manifester, ou quand. Je peux t’aider à les développer
et à les maîtriser, si tu le désires. C’est la tâche du Gardien,
habituellement, mais tant que tu n’auras pas choisi ton camp, je serai là pour
toi.
- Dois-je choisir un camp? Est-ce
obligatoire de faire partie de tout cela? Je n’ai pas envie d’une guerre,
c’est…c’est trop.
Elle secoua de la tête, comme pour tenter
d’éloigner les pensées négatives qui lui venaient à l’esprit. L’équilibre du monde,
reposer sur ses épaules à elle? Elle n’avait que seize ans!
- Je comprends que c’est beaucoup
d’information à assimiler, mais oui, tu dois choisir. Certains ne te
laisseraient pas vivre en sachant que tu n’as pas choisi, parce que tant que tu
n’as pas de Gardien, tu peux t’allier à l’ennemi en tout temps. Le plus tôt, le
mieux. Ainsi tu seras protégée par ton Gardien.
- Si je choisi la Lumière, seras-tu mon
Gardien, Kiriel?
Aly la regarda avec intensité. Si elle
devait avoir un Ange à ses côtés, elle voulait elle. Après tout, c’était elle
qui était venue la voir en premier, c’était elle qui la rassurait et qui la
protégeait, non?
- Je ne sais pas… je… Ce n’est pas moi
qui assigne les Gardiens aux Fighters. Je ne suis qu’une messagère parmi tant
d’autres. Je dois obéir aux ordres de mes supérieurs, mais je peux t’assurer
que quel que soit l’Ange qui te serait assigné, tu serais entre bonnes mains.
L’adolescente hocha de la tête, déçue. Elle
avait besoin de réfléchir à tout cela et elle laissa l’Ange retourner à ses
devoirs. Lorsqu’elle fut à nouveau seule, elle s’assit sur son lit, les genoux
contre sa poitrine, et resta plongée dans ses pensées. Elle ne sortirait pas,
ce soir…
Kiriel sentit son cœur fondre pour la
jeune fille, comprenant qu’elle avait beaucoup de difficulté à accepter son nouveau
destin. Il n’était pas aussi glorieux qu’elle tentait de lui faire croire.
C’était un destin sombre pour les humains, être l’objet de désir des Anges et
des Démons, un instrument de pouvoir qui pouvait tomber aux mains de n’importe
qui. Habituellement, les premiers à les trouver se les ralliaient avec de
belles paroles, des promesses de gloire ou autres. Souvent, des mensonges. Les
Fighters étaient les premiers à mourir, et rares étaient ceux qui voyaient leur
Gardien mourir et pouvaient retourner à leur ancienne vie librement.
Elle avait envie de protéger
l’adolescente, d’être son Gardien, mais elle n’avait aucun pouvoir sur cette
décision. Elle ne pouvait qu’être là pour Alyah tant et aussi longtemps qu’elle
n’aurait pas choisi son camp. L’instant où un Gardien se lierait à elle, l’Ange
savait qu’elle devrait prendre de nouveaux ordres. Elle l’avait observée depuis
si longtemps, connaissait sa solitude, et elle ne voulait que lui tenir
compagnie… Mais les ordres étaient les ordres et elle répondit à l’appel,
disparaissant aussi subitement qu’elle était arrivée.
Dans le salon, Dantalian écoutait la
conversation, les sourcils froncés. Ce n’était pas de bonnes nouvelles…
maintenant, il savait qu’il était arrivé trop tard. Heureusement, il avait été
assigné à la fille et serait avec elle en permanence. Il avait encore la chance
d’agir, mais ce serait délicat. Il devait attendre que l’Ange parte d’abord, ce
serait ensuite à son tour. Le plus dur était fait, il pouvait remercier Kiriel
pour cela. Ironique, quand même, qu’ils tentent tous les deux à nouveaux de
lier le même Fighter…
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