*Note de l'auteure: Ceci est un vieux texte sorti pour l'ouverture du blog. L'univers ainsi que les personnages de Medar et Ellianne ne m'appartiennent pas. Empruntés avec le consentement de leur créateur Calarenne.*
Personne n’a vraiment su quel était son vrai nom tant il remonte à des temps anciens. Ilythia est le seul par lequel on la connaisse aujourd’hui, Ilythia et Midnight, bien que personne ne sache la connexion liant les deux entités. Si la première est comtesse du jeune comté d’Ethërya, ce n’est que par la simple grâce de l’Impératrice d’Eternia. Quant à la seconde, elle est entièrement loyale à sa souveraine, travaillant dans l’ombre afin de lui assurer un long et prospère règne sur le continent ravagé par des querelles de petits seigneurs.
D’aussi loin qu’elle se souvienne, la jolie elfe n’a jamais eu de pouvoirs. Elle avait grandi parmi les siens, une famille aimante. Comme son père et ses frères, elle possédait une chevelure pâle dans des teintes d’un brun rosé. Comme sa mère et ses sœurs, elle avait des yeux de cristal, brillants sous les étoiles. Selon la lumière, on pouvait distinguer des teintes variables dans ses iris, du rouge à l’or, passant par le violet. Et elle était belle, même parmi les siens. On disait que c’étaient ses traits d’ange qui faisaient d’elle une véritable rose dans un jardin fleuri. Elle avait l’air si innocent, elle était si innocente. Mais elle voyait dans les yeux des siens une peur constante lorsqu’ils la regardaient. Elle les entendait parler d’elle en chuchotant, tandis qu’ils croyaient qu’elle dormait. Elle savait qu’ils la faisaient surveiller de près. Et ce ne fut que lorsqu’ils l’envoyèrent dans une école particulière qu’elle cru comprendre. Enfermée entre des tours de livres, elle était condamnée à tout apprendre de la magie et de ses différentes formes sans pouvoir lancer le moindre sort, même le plus bénin. Elle était anormale. Elle aurait dû être douée pour la magie et ils espéraient éveiller ses pouvoirs en l’éduquant, en l’entourant de mages, mais elle ressentait un blocage qui l’empêchait d’avoir accès à la magie. N’était-elle donc pas destinée à posséder des pouvoirs comme tous les membres de sa famille? Serait-elle la seule des siens à ne pas être enchanteresse? Elle apprit donc avec l’énergie du désespoir, toujours cherchant plus loin et plus profondément dans les livres et la connaissance.
Mais rien ni personne ne pouvait expliquer sa condition. Tous les enfants nés dans sa famille avaient été des mages plus ou moins exceptionnels. Elle aurait dû hériter du même talent. Elle aurait dû. Et ses longues années d’études n’avaient en rien aidé. Elle avait sombré plus profondément dans son désir d’appartenance, dans son refus d’être le mouton noir. Même lorsqu’elle avait extrait toutes les connaissances de ses mentors, même lorsqu’elle avait lu tous les livres des bibliothèques elfiques, elle n’était pas satisfaite. Elle fut escortée dans toutes les grandes villes et tous les centres de savoir. Elle fut enseignée par des maîtres de tous les domaines, implorant tous les dieux et toutes les puissances de l’éclairer. Pendant des décennies, elle a parcouru le continent et pendant des décennies, elle restait enchaînée à son insu.
Et elle tomba amoureuse. Si son pèlerinage l’avait instruite au niveau de la magie, elle ne savait rien des affaires du cœur. Elle n’était qu’une enfant encore si naïve à bien des niveaux. Si son escorte la pressait de rentrer enfin à la maison, elle désirait rester auprès de son nouveau mentor, ne serait-ce que pour le contempler éternellement, ou jusqu'à sa mort. Car il était humain, et un guerrier. Il l’instruisait sur l’art de tuer et sur la guerre et en échange, elle puisait dans ses vastes connaissances afin de l’éclairer sur la magie. Elle voyait en lui une virilité qu’elle rencontrait rarement. Toute sa vie, elle avait côtoyé des érudits, des sages, des religieux. Elle avait passé que très peu de temps en compagnie de guerriers et d’hommes se servant de leur puissance corporelle plus que de leur esprit. Et elle était fascinée par cette nouvelle sorte de pouvoir et lui, par la quantité incroyable de savoir qu’elle possédait. Elle qui n’avait connu que l’amour de la connaissance connut l’amour charnel. Cependant, il devint rapidement évident qu’il ne l’aimait pas comme elle l’aimait. S’il appréciait son corps, il était davantage intéressé par ce qu’elle pouvait lui apprendre et par la guerre que par l’idée de passer sa vie à ses côtés. Alors elle le quitta, car elle était sage, avec le cœur en morceaux et son escorte des plus exaspérée, mais l’ayant enfin convaincue de rentrer chez les siens.
Elle est rentrée la tête basse, mais soulagée de retrouver des êtres qu’elle connaissait et qui l’aimaient. Sa mère l’accueillit avec des pleurs après tant d’années d’absence et son père lui offrit un sourire des plus chaleureux. Lythia ne manqua pas, cependant, au milieu de ces joyeuses retrouvailles, le coup d’œil inquiet du chef de famille et le hochement de tête du capitaine de son escorte. Elle participa aux festivités en son honneur, et dormit dans sa chambre dans son palais, car elle était de la haute noblesse dans ce royaume détruit aujourd’hui, ravagé par les guerres, par l’Ennemi, par le temps. Un sang noble coulait dans ses veines, sang imprégné d’une magie qui lui était niée. Pour quelle raison les dieux en avaient-ils décidés ainsi? Qu’avait-elle fait pour être punie de la sorte? Les rêves que cette première nuit depuis longtemps sous le toit de ses parents lui apportèrent étaient sombres et en aucun ne vit-elle la réponse tant désirée.
Le lendemain matin, sa mère vint lui rendre visite. Encore endormie, Ilythia l’accueillit en bâillant, lui faisant une place sur son large lit. Elle fut cependant frappée par le regard triste de la grande elfe dont elle avait hérité les traits délicats. Paniquée, elle la pressa de lui dire ce qui n’allait pas. La réponse fut longue à venir, la dame tournant autour des pots d’une manière insupportable. Mais l’enfant était trop douce, trop bien élevée pour l’interrompre. Elle écoutait, silencieuse, inquiète. Du long discours, elle en retint l’essentiel et c’est avec un lourd silence qu’elle regarda sa mère la quitter, ses yeux de cristal ternis par une ombre. On lui demandait d’oublier tout ce qu’elle avait appris, de laisser la magie de côté. Ce n’était pas sa voie, lui a-t-on dit. Elle devait cesser ses recherches, car elle ne faisait que gaspiller les siècles qui lui étaient offerts. La semaine prochaine, on la marierait à un seigneur elfique et elle devrait se comporter comme une dame de son rang le devait.
Oublier la magie… voilà quelque chose qui lui semblait impossible. Tout son être réclamait le droit d’y goûter, mais en vain! Et voilà que ses parents la donnaient dans l’espoir que sa dévotion soit redirigée vers un mari aimant et la perspective de fonder sa propre famille. Elle n’avait jamais eu l’idée de se rebeller contre les désirs de ses aînés, aussi s’y plia-t-elle à contrecœur. Il s’avéra qu’elle connaissait l’elfe auquel on la mariait. Il était l’héritier d’un noble nom et digne de la recevoir comme épouse. Il était de son âge et il était bien surprenant qu’il n’ait pris femme avant, mais les rumeurs voulaient qu’il n’ait jamais eu d’yeux que pour elle. Il l’aurait donc attendue pendant tout ce temps, pendant ses décennies de recherche de connaissance. Et pour cela, elle lui devait au moins d’essayer de l’aimer. Alors, elle revêtit ses plus beaux atours pour la cérémonie. Elle sourit sincèrement pour lui, et dans ses yeux, elle ne pouvait lire que le bonheur d’être enfin avec celle qui faisait battre son cœur. Cependant, la fiancée portait encore dans le sien le guerrier mortel auprès duquel elle avait passé quelques courts mois.
Elle se maria alors, des fleurs dans les cheveux. Elle l’aima du mieux qu’elle put et elle s’attacha réellement à lui. Malgré le temps qui s’écoulait, elle ne parvint jamais à oublier sa première quête, celle qui la poussait inexorablement vers la magie. Les années qu’elle passa auprès de son mari furent douces. Elle n’avait à se soucier de rien, car on s’occupait d’elle. Jamais elle ne mentionna son attrait pour cette puissance qu’elle recherchait, car elle avait remarqué que les regards craintifs avaient diminués depuis son mariage. On la voyait désormais comme la femme d’un noble, un maître archer. Il l’aimait, et jamais il ne la laissait seule trop longtemps. Il s’assurait qu’elle ait toujours un livre sous la main, sachant que son esprit avait besoin de se nourrir, mais que des romans. Il lui offrait les plus doux nectars et les plus merveilleuses robes. Il avait mis à sa disposition de magnifiques bijoux qui faisaient briller ses yeux de mille feux. Il chevauchait avec elle durant le jour leur terre verdoyante et la nuit, il l’aimait avec passion.
Nombreuses femmes auraient été comblées de cette douce attention, mais Lythia n’était pas une femme ordinaire. Elle ne l’avait jamais été et elle ne le serait jamais. Bien qu’elle fut relativement heureuse, quelque chose lui manquait. Elle crut qu’elle pourrait s’y faire lorsque son ventre s’arrondi, elle crut qu’elle pourrait continuer à vivre éternellement ainsi pour le bien de son enfant. L’idée de mettre au monde un être vivant lui mit un sourire permanent sur ses lèvres et elle crut vraiment aimer son mari alors. Elle le crut vraiment. Mais la vie était cruelle avec la jolie elfe. Elle n’était pas destinée à donner la vie, seulement à l’enlever. Ce fut une nuit douloureuse qu’elle mit au monde un enfant mort-né, un être minuscule et froid.
Le cœur brisé, elle s’emmura dans un silence que personne n’arrivait à percer. Dans sa douleur, elle se coupa du monde. Rien ne l’atteignait, rien ne pouvait la faire sourire. Elle avait l’image de son enfant, immobile, gravée à jamais dans sa mémoire. Ça la hantait la nuit et elle pleurait cet être qui n’avait jamais connu l’odeur du vent, les couleurs du ciel, la douceur des fleurs. Plus que jamais, elle était seule. Malgré tout l’amour que lui portait son mari, il vint à prendre une seconde femme. Il avait perdu l’espoir qu’Ilythia lui donne un héritier, car elle refusait sa présence, dans sa bulle comme dans son lit. Sa famille n’osait lui parler, de peur de la voir leur tourner le dos encore une fois. Ce qu’elle fit après plusieurs années de solitude. Elle quitta les siens afin de reprendre la quête qu’elle avait délaissée pour un bon siècle – trop longtemps. Cette fois, sans escorte! Elle quitta sa demeure au beau milieu de la nuit, ne laissant pas même une lettre pour expliquer sa disparition. Ils comprendraient ce qu’ils voudraient, elle en avait assez de cet univers tellement contraignant. Elle allait trouver la raison derrière le mystère de sa magie, peu importe le coût.
À cette fin, elle prit le nom de Kaliel. Elle laissa derrière elle son identité, l’elfe qu’elle était. Elle ne conserva que ses souvenirs, sa résolution et un faible espoir d’enfin être complète. De biens, elle n’avait rien emporté, si ce n’était quelques vêtements et un peu d’argent pour vivre. Cependant, maintenant qu’elle était seule, elle faisait une proie facile pour les brigands. Une dame solitaire ne devrait jamais se promener sans escorte, ou sans arme. Elle l’apprit bien à ses dépens, car elle était encore naïve malgré ses années. Après tout, elle avait toujours été encadrée par sa famille. Jamais elle n’avait eu le loisir de découvrir le monde d’elle-même, protégée par les écrans que posaient les siens autour d’elle. La liberté qu’elle trouvait à présent comportait également ses risques. Car elle était jolie, Kaliel. Entre deux villages, elle chevauchait un bel étalon blanc comme neige, s’éloignant toujours de la communauté qu’elle avait quitté. Elle fut arrêtée par des bandits et elle lui donna le peu qu’elle possédait. Ce n’était pas suffisant, ce n’était jamais suffisant. Ils l’assommèrent et la transportèrent jusqu’à leurs quartiers généraux où attendait sagement leur chef. C’était un bel homme, mais un homme cruel. Ses yeux noirs ne laissaient pas la moindre trace de sympathie. En reprenant conscience, elle se retrouva dans une chambre luxueuse, attachée au lit. Elle paniqua et l’homme s’approcha d’elle, la voyant enfin réveillée. Il la prit avec brutalité, plus d’une fois. Puis, enfin repus, il la laissa aux mains de ses hommes. Elle aurait dû mourir cette nuit-là, et elle voulut mourir. C’était atroce de sentir des mains la toucher ainsi, la brutalisant alors que ces bandits y prenaient plaisir. Jamais elle n’avait pensé pouvoir souffrir autant.
Mais des seigneurs avoisinants s’étaient alliés pour mettre fin au règne de ce groupe de brigands. Ils en avaient assez de voir leurs amis et leur famille sans cesse pillés et s’alliant contre eux, ils attaquèrent cette même nuit le manoir de la bande. Ainsi, des chevaliers portant différents écus trouvèrent la demoiselle et la ramenèrent pour la soigner. Elle aurait préféré mourir plutôt que de vivre avec ces horribles souvenirs. Mais l’un d’entre eux la prit sous son aile, la soignant et veillant sur elle avec tendresse. Il devint rapidement évident qu’il l’aimait, mais elle ne se croyait plus capable d’amour, pas après cette nuit terrible. Elle avait été brisée d’une manière qu’elle ne croyait pas possible, pas après la perte de son enfant. La vie n’allait-elle jamais l’épargner?
Elle reprit vie, cependant, car elle ne pouvait rester prostrée dans son malheur. Pour lui, parce qu’il prenait tant soin d’elle, elle se força à sourire. À ses côtés, elle tenta de retrouver goût à la vie. Elle avait appris avec son premier amant les bases du maniement d’une épée et avec son mari, celles du tir à l’arc. Avec le chevalier, elle apprit à réellement se défendre. Il lui offrit cela en dépit d’autres consolations. Il comprenait son désir de vivre sans craindre la noirceur de ce monde et, à défaut de pouvoir lui ouvrir la voie à la magie, il l’initia sérieusement à l’art de combattre. Comme il ne sied pas à une dame de traîner une épée, ce fut les dagues, petites et discrètes, mais mortelles entre des mains expertes. Et, toute sa vie, elle resta près de lui jusqu’à ce qu’il expire. Elle avait fini par s’attacher à l’homme, mais jamais elle n’avait partagé sa couche. Elle était restée froide sur plusieurs plans, mais cela aurait été pire sans lui. Il avait été doux avec elle, patient, compréhensif. Et à la fin, elle pleura sa mort, bien qu’elle fut naturelle.
Ce n’est que récemment qu’elle a pris connaissance de son état. Il y a trois siècles, avant l’invasion de l’Ennemi, Kaliel eut vent d’un homme chez les Haut-Orques qui pourraient l’éclairer sur sa condition. Elle n’avait cessé d’errer, approfondissant sa connaissance des armes et de l’art du combat lorsqu’un jour, elle tomba sur des mages elfiques discutant des dernières découvertes du monde magique. Toute ouïe, elle écouta discrètement leur conversation pour découvrir que les Hauts-Orques, dans leurs cités titanesques, possédaient énormément de savoir, confinés dans des bibliothèques immenses ou dans les esprits de sages renommés. Le regard brillant, elle décida de visiter ce peuple de ce pas, interrompant son voyage vers un maître d’armes renommé. Ces dernières années, c’était bien tout ce qu’elle faisait. Elle étudiait sous différents maîtres d’armes, modelant ainsi son corps pour le combat. Bien qu’elle n’ait jamais été grosse, elle avait pour la première fois depuis longtemps des muscles définis et un corps athlétique qui contrastait avec la silhouette mince et fragile de la noble elfe qu’elle avait été. Sous le soleil, sa peau blanche avait pris une teinte dorée sans pourtant se noircir et son visage était devenu plus dur. Mais si ces Hauts-Orques pouvaient l’aider à trouver la magie, elle serait alors libre et n’aurait besoin des armes des hommes pour se défendre. Elle qui connaissait tout de l’art pour l’avoir étudié pendant des siècles n’aspirait qu’à s’y essayer elle-même.
Ce fut donc pleine d’espoir qu’elle se présenta dans une des dernières cités des Hauts-Orques. Longtemps, elle fouilla leurs bibliothèques, fascinée par tout ce qu’elle y trouva. Mais aucune réponse à son problème ne fut trouvée. On la guida alors vers des sages qui, devant son cas qu’ils qualifièrent d’ « intéressant », l’envoyèrent vers leur Grand-Chaman des plus renommé. Saint-Medar. Elle fut surprise de découvrir non pas un vieillard, mais un homme de belle stature avec un visage délicat et agréable à regarder. Il n’avait pas l’air d’un barbare, au contraire. Ses traits nobles attiraient les regards au lieu de les repousser. Elle s’ouvrit donc à lui, lui racontant sa démarche qui l’avait enfin conduite devant lui. Elle ne garda pour elle que les épisodes malheureux de sa vie qui n’avaient rien à voir avec sa quête et lui offrit son esprit afin qu’il puisse jeter un coup d’œil en elle. Il lui dévoila alors qu’il savait ce qui la bloquait, ce qui la ravit. Son air incrédule l’inquiéta, cependant.
- Je n’ai jamais vu une telle combinaison, lui avoua-t-il.
Puis, il lui expliqua qu’il avait vu en elle trois sorts la contraignant. Dans son esprit, c’était représenté ainsi : un cerceau de lumière verte et un de lumière rouge se chevauchant, et un cerceau de lumière bleue les entourant de haut en bas. Elle, qui en connaissait assez, sut que c’était pour enfermer une source magique, mais trois? Saint-Medar lui expliqua que cette magie était en elle depuis très longtemps et qu’elle était fragile. Si elle réussissait à libérer ne serait qu’un filon magique, les cerceaux pourraient exploser, libérant alors toute sa puissance. Il lui dit ensuite que ce pouvait être très dangereux. Pour elle et pour ceux l’entourant. Puisqu’elle n’avait jamais appris à contrôler une telle puissance, elle serait bien capable de détruire le monde – de façon figurative. Sous le choc, elle ne sut quoi répondre et il lui proposa de rester chez lui pour en discuter plus longuement. Une fois le choc absorbé, ils passèrent des heures à en discuter, puis elle en vint à lui parler de choses plus personnelles. Blessée dans la trahison et les mensonges de ses parents ainsi que par toutes les pierres lancées par la vie, elle avait besoin d’une oreille pour l’écouter. Saint-Medar joua son rôle à la perfection, sachant exactement comment la réconforter et, emportée par le désir de toucher à quelque chose de réel, elle se laissa aller dans ses bras pour une nuit d’amour passionnel. Il effaça ainsi toutes les traces de violence qui avaient souillé son corps.
Au matin, l’elfe partit, une nouvelle résolution en elle. Bien qu’en colère contre les siens, une haine nouvelle l’enveloppant pour tous les mensonges qui l’avaient enchaînée toute sa vie, elle était étrangement calme. Elle quitta donc le Grand-Chaman, un sourire reconnaissant sur les lèvres, pour vivre selon ses propres règles. Elle se jura de ne jamais revenir vers sa famille, mais elle ne garda aucune rancune envers sa race. Seuls ceux qui l’avaient trompée étaient au centre de sa colère. Bien que terriblement tentée de toucher à cette magie qu’elle savait maintenant posséder, elle se retint puisqu’elle ne désirait pas se perdre, pas maintenant qu’une vie nouvelle s’offrait à elle.
Des années d’errances suivirent cet épisode. Elle avait dû parcourir le continent en entier dans une sombre solitude, poussée par un désir de sang et de vengeance. Elle canalisa sa fureur dans des guerres auxquelles elle se joignit sous différents noms que l’on peut voir à présent à travers l’histoire. Elle se perfectionna dans le maniement de différentes armes, bien qu’elle ait toujours préféré les lames. À une époque, elle se fit pirate, mais son intérêt pour les mers s’était évaporé que trop rapidement. Elle n’était pas faite pour les longs voyages houleux et les défis aux tempêtes violentes. Elle préférait nettement fouler le sol de ses pieds ou chevaucher inlassablement des étalons fougueux. Elle était présente, lors de la guerre contre l’Ennemi, combattant aux côtés de différents seigneurs. Elle avait combattu lors de la « Quête de succession » et la révolte des « Sombres Héros ». Jamais ne s’était-elle attachée à une cause, car sans loyauté, elle pouvait continuer de voyager à son gré.
Cependant, tout changea brusquement. Elle ignorait ce qui l’avait poussée vers Ellianne qui alors n’était qu’une jeune femme désireuse de se tailler une place. Tout de suite, elles s’étaient bien entendues. Saint-Medar, qui maintenant n’était que Medar, l’avait trouvée par pur hasard après environ trois siècles et il l’avait ramenée à la dame. Elle s’était alors offerte comme mercenaire pour l’aider à agrandir son royaume. Elle donna alors le nom d’Ilythia, le dernier nom qu’elle utilisait. Elle se dévoua à sa tâche et, même lorsque son contrat se termina, elle resta auprès de la jeune noble qui, malgré son âge, n’était à ses yeux qu’une attendrissante adolescente n’obéissant qu’à ses désirs. Et elle, elle ne voulait que passer sa vie à la servir et à assurer son bonheur. D’ailleurs, si l’on osait toucher ne serait-ce qu’à un seul de ses cheveux, l’elfe s’était juré qu’elle poursuivrait les vilains jusqu’au bout du monde et ne connaîtrait de paix que lorsque son regard glacial se serait posé sur leur cadavre encore chaud et sa lame, imprégnée de leur sang fluide. Et s’il le fallait, elle libérerait les puissances qui sommeillaient en son sein, risquant ainsi la destruction de bien plus que quelques âmes souillées.
Car ce fut à ses côtés qu’elle retrouva un sens à sa vie. Elle redevint la douce elfe qu’elle avait été jadis. Mais une part d’elle était morte et ne reviendrait jamais. Une dureté insondable la composait toujours, et c’était ce qui faisait d’elle une arme incroyable. Elle serait le garde du corps ultime de la jeune femme qu’elle considérait comme plus que sa souveraine, mais bien comme une sœur, comme l’enfant qu’elle n’avait jamais eu. Lorsque celle-ci monta sur le trône en tant qu’impératrice d’Eternia, elle lui jura fidélité. En échange, Ellianne lui offrit les terres qu’elle voudrait. Elle voulut la faire duchesse et la garder à ses côtés, mais Medar recommanda le titre de comtesse, qui serait plus approprié au domaine qu’elle avait choisi, situé non loin de la Forët d'Ipsolirius. Ainsi, sans être au cœur de l’empire, Lythia avait trouvé un endroit parfait pour construire un domaine pacifique sous le soleil. Dans l’ombre, ce serait le quartier général d’une organisation secrète qui serait au service de la nouvelle impératrice.
« Si vous ne pouvez pas survivre à mon entraînement, vous ne survivrez pas dans ce monde! » aimait-elle crier à ses recrues. Elle était dure avec eux afin de s’assurer de former les meilleurs assassins et les meilleurs espions qui soient. Ils seraient infiltrés partout et grâce à eux, elle aurait un réseau d’information plus étendu qu’aucun auparavant. Cela était dans l’unique but d’étouffer dans l’œuf tout complot contre Ellianne et de lui assurer un contrôle total, mais invisible, sur son empire. Elle avait commencé d’abord avec une poignée de guerriers sans maîtres recherchant quelque chose de plus. Elle les entraîna si bien qu’ils devinrent le cœur de sa nouvelle communauté secrète qu’elle nomma Ordre de Minuit. Elle recruta également plusieurs impérialistes désirant servir l’Empire d’une manière plus efficace. Lorsqu’elle était leur chef, ils devaient l’appeler par le nom qu’elle s’était donné, soit Midnight. Peu la connaissaient sous le nom d’Ilythia, car leur existence devait rester secrète à tout prix. Des marchands, des villageois, des chevaliers, des servantes… ils pouvaient être n’importe qui et chacun avait des tâches différentes. Et elle organisait le tout de son petit comté où elle avait enfin trouvé un chez-soi. Elle n’avait pas quitté ses habitudes de voyage, et elle se trouvait souvent aux côtés d’Ellianne, n’aimant pas la quitter trop longtemps, mais jamais elle ne la laissant sans une de ses Tortues – une des quatre branches de son Ordre secret – de confiance. Et puis, Medar était avec elle…
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