Chaque matin, je me réveille, la tête remplie d'images hétéroclites. Je vois des endroits merveilleux que j'ai imaginés, des personnages loufoques, des aventures incroyables. Chaque matin, je me réveille avec les restes d'une nuit mouvementée, les restes de rêves qui m'ont accompagné. Pour un temps seulement, je suis encore heureux, m'imaginant roi, pirate ou chevalier. Je suis invincible, une jolie princesse à mes côtés. Pendant quelques secondes, je ne suis plus moi, je suis un héros, un prince. Et lorsque je me réveille, je ne désire que me rendormir afin de retrouver ces univers qui m'appellent constamment.
Une douche, un café. L'eau chaude qui coule sur ma peau, éveillant mes sens, la boisson chaude qui coule en moi, éveillant mon esprit. Je suis là. Je suis moi. La journée a commencé et mes rêves, déjà oubliés. Je suis à nouveau ordinaire, un simple étudiant qui cherche encore sa voie dans le monde. Où est ma place? Je l'ignore. J'avance à pas tremblants sur le chemin sur lequel on m'a poussé. Je pourrais être artiste, je me dis tous les matins en mangeant mes céréales. Puis, je lis le journal. Je feuillette les actualités et je me rends compte à quel point ce serait stupide. Le monde n'a pas besoin d'artistes. Des ingénieurs, des médecins, des infirmières, des enseignants, des compatbles, des architectes, des avocats, des policiers, voilà ce qu'il faut à notre société. Des hommes utiles, voilà ce que nous devons devenir. C'est là le but ultime de notre cheminement scolaire. Nous devons tous posséder une formation suffisante qui permet d'élever notre civilisation à un niveau supérieur. Alors être artiste, faut pas rêver!
Je me brosse les dents et je m'observe dans le miroir. Que je suis ordinaire! Des yeux bruns, des cheveux bruns, une barbe de quelques jours, un visage carré. Ordinaire. Je ressemble à tout le monde. Tout le monde me ressemble. Je me fond dans la masse d'êtres sans saveur dont est composée la société. Je ne suis qu'un autre pantin manipulé à la perfection pour faire honneur au moule dont je suis sorti. Mes dents sont légèrement jaunes malgré la pâte dentifrice blanchissante que j'utilise. Ce doit être les cigarettes. Les hommes de 18 à 25 ans sont requis de fumer. Si tu ne fumes pas, tu n'es pas comme tous les autres. Si tu es différent, alors tu n'est pas normal. Je suis normal, ordinaire. Comme tout le monde. Alors je fume et mes dents sont jaunâtres.
Je suis habillé propre, mais pas trop. Il faut conserver une certaine allure négligée, surtout à l'université. Il ne faut pas trop faire sérieux, ça paraît mal. À moins d'être un étudiant qui se perfectionne dans son domaine ou qui prend des cours d'appoints pour le boulot, pas question de mettre le veston et la cravate. Propre, mais pas trop. Sérieux, mais pas trop. Assez pour dire que l'on veut apprendre et sortir diplômé, mais pas au point d'être enthousiaste de quitter l'univers étudiant tellement facile. Il faut toutefois se plaindre de n'avoir jamais d'argent, de travailler trop fort et de ne pas aimer ses professeurs. On ne mentionne pas que tout est moins cher pour les étudiants, que les études sont moins demandantes que les 40h de travail assommant et répétitif de la majorité des gradués et que les professeurs sont plutôt distrayants. Il y a ceux qui sont intéressants à écouter, ceux qu'on aime provoquer, ceux avec qui on discute et ceux qu'on ignore tout à fait. Et puis, honnêtement, la moitié du temps passé en classe est utilisé afin de flirter avec la voisine, se faire de nouveaux amis ou organiser le prochain party. La vie étudiante, difficile? Pas vraiment.
Je prend le transport en commun pour me rendre à mes cours. L'autobus est toujours bondé à cette heure. Il est plein d'étudiants comme moi, qui me ressemble dans leur allure parfaitement ordinaire et leur air à moitié éveillé. Chacun est dans sa bulle, écoutant sa musique, finissant les dernières lectures obligatoires ou simplement plongés dans leurs pensées. Il y a quelques travailleurs, reconnaissables à leurs habits trop propres. Pères de familles, femmes ambitieuses, jeunes professionnels. Mais chacun sait qu'il fait partie d'une chaîne à laquelle il ne peut plus échapper. Une fois pris dans le cycle du travail, on n'en sort qu'à prix fort et personne n'est prêt à la payer. Alors on endure. C'est plus facile lorsque l'habitude prend le dessus. On efface toute trace d'émotion qui peut engendrer le doute, la peur, la panique, l'espoir, puis la désillusion. On trouve une place, on la réclame pour sienne et on survit les yeux fermés. Facile.
Arrêt. Le bus se vide. Les étudiants vont en classe. Je prend place à la table, toujours le même siège. Les premiers jours, les gens changent de place, mais une fois que les étudiants qui abandonnent le cours sont partis et que chacun a trouvé sa place, on y reste jusqu'à la fin. Si on pouvait, on resterait là jusqu'à la fin des temps, mais les circonstances nous obligent à trouver une autre place dans une autre salle. Le cycle de la vie.
Pause. Café, muffin. On continue. On parle ou on écoute, jamais les deux à la fois. On prend quelques notes, puis on attend que les minutes s'écoulent. Perte de temps. Les cours finissent toujours par se terminer et on se dirige ailleurs. Les troupeaux d'étudiants se suivent, puis se séparent. Second cours, pause ou passage au monde du travail temporaire. Je fais partie de ce dernier groupe. Je mange un sandwich entre deux autobus, puis je débarque au centre commercial. Vendeur dans une boutique de vêtements à la mode. Rien d'extraordinaire. Ça paie le loyer, c'est tout ce dont j'aie de besoin. Travail ordinaine pour un étudiant ordinaire.
La soirée tombe. Je suis épuisé. Bonne journée, somme toute. Je suis allé apprendre, puis je me suis rendu utile à la société. J'ai consommé, j'ai vendu. J'ai vécu. Je m'écrase devant la télévision pendant que je cuis des pâtes pour souper. J'écoute une série insipide qui ne reflète en rien la réalité, seulement ce que l'on aimerait qu'elle soit, aussi terrible que ce puisse être. Seulement, toute l'action dans la vie des personnages est payée chèrement par le drame, les émotions et les incertitudes. Non, une vie ordinaire, prévisible, rangée, voilà ce qui convient à la société. Pas besoin de surprises, ce serait irritant de voir ses plans biens droits chamboulés à cause d'une émotion.
Je mange, je fais un peu de lecture et je vais me coucher. Il est temps de dormir, j'ai une autre bonne journée qui m'attend très tôt. Une autre bonne journée tout à fait identique, tout à fait prévisible, tout à fait ordinaire. C'est aussi bien, je ne pourrais pas m'adapter à quelque chose de différent.
Pendant la nuit, je rêve. Seulement alors puis-je devenir extraordinaire. Je suis un agent secret qui protège une célèbre actrice en danger, je possède des pouvoirs magiques, je suis un prince charmant combattant un dragon. Je suis un héros qui n'a peur de rien. Je fais ce que je veux quand je veux. La seule limite est celle de mon imagination. Tout est possible. Et je suis heureux.
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