March 4, 2013

Le plus beau des fantômes

J’aime mon mari, j’aime mes enfants. Je suis satisfaite de ma vie, je n’ai pas à me plaindre. Je suis heureuse. Seulement, de temps à autres, il y a ce fantôme qui revient me hanter, une personne de mon passé que je croyais avoir oubliée. Alors, je m’enferme dans une bulle jusqu’à ce qu’elle reparte et que je l’oublie à nouveau. Jusqu’à la prochaine visite.

Elle s’appelait Joëlle. Elle n’est pas morte, non, mais je la vois encore comme elle l’était alors, lorsque nous avions 16 ans. Nous étions alors meilleures amies et nous croyions que jamais rien n’allait nous séparer. Comme nous avions tort! Il y a des choses que même l’amitié ne peut supporter. Distance, silence… amour.

Je l’avais rencontrée un bel après-midi d’été. J’étais avec des amis sur le Mont-Royal, appréciant le peu de nature que nous avons à Montréal. Nous attendions encore d’autres personnes et elle arriva avec eux, alors que le soleil était à son plus haut. J’étais assise sur l’herbe, riant, lorsque je l’aperçus. Alors, je crus avoir une vision. Sous les rayons éclatants, elle brillait. Littéralement. C’était comme si elle dégageait sa propre lumière, ou alors qu’elle répondait à celle de l’astre céleste. Je sus alors qu’il serait impossible pour moi de ne pas la connaître, qu’il était nécessaire qu’elle soit dans ma vie.

Elle vint s’asseoir à côté de moi. Je dois avouer que j’étais alors un peu timide et donc je ne sus comment engager la conversation. Heureusement, elle prit en charge cette initiative en se présentant.

- Salut, moi c’est Joëlle. Je suis la cousine à Pascal.

Elle sourit. Elle rayonnait, j’en étais certaine. Je ne voyais rien autour d’elle, que sa chevelure de feu et ses yeux gris. Ou bleus. Ou bruns. Peut-être verts. Je ne me souviens plus. Mais je me souviens de l’éclat dans son regard allumé. Je me souviens de la chaleur qu’elle dégageait, de la confiance qu’elle m’inspirait.

- Ariane. Pascal nous a parlé de toi. De Québec, c’est ça?
- Oui, mes parents déménagent à Montréal, donc tu me verras plus souvent!

En effet, elle allait étudier à la même école secondaire que moi, mes amis et son cousin. Puisque ça avait cliqué le premier jour entre nous, notre amitié se développa rapidement. Elle devint ma confidente, celle sur qui je pouvais compter pour tout. Je ne suis pas une personne qui offre ma confiance facilement, mais elle était une exception. Ouverte de nature, je sentais que tout ce que je pourrais lui dire ne serait jamais jugé. Elle pouvait me comprendre, peut-être mieux que je ne pouvais le savoir alors. Elle m’acceptait complètement telle que j’étais.

Un soir, Halloween, nous avions une fête costumée chez un ami. Joëlle était magnifique dans sa tenue d’infirmière zombie. Moi, dans mon costume de chaperon rouge, je me sentais comme une enfant qui allait chercher des bonbons chez les voisins. J’aurais peut-être dû. En fait, ça aurait probablement changé bien des choses. Mais, comme toute adolescente de mon âge, je n’avais envie que d’une chose : danser, boire, m’amuser. Et donc, je suis allée avec mes amis à cette fête. J’ai dansé, bu et me suis amusée. La soirée allait bien. Après un moment, Jo me tira à part et m’entraîna dehors. Elle était un peu ivre et, après avoir tant dansé, elle avait besoin d’un peu d’air frais. Je n’étais pas contre, sentant que mes joues rougissaient sous l’alcool et la chaleur.

L’automne était bien avancé et la nuit était froide après la salle réchauffée par les corps en mouvement. Je frissonnais tandis que je m’assoyais sur le sol, à côté de ma meilleure amie. Et c’est à ce moment que je compris que quelque chose n’allait pas. Habituellement, c’était moi qui m’ouvrais à elle, qui cherchait ses conseils et son appui. Ce soir, j’allais bien, mais c’était elle qui avait besoin de moi. Et je n’ai pas su trouver les mots qu’elle m’offrait si facilement quand les rôles étaient inversés.

C’était la première fois qu’elle m’offrait sa vulnérabilité. Par la suite, je continuais à mettre cet épisode sur le compte de l’alcool, mais une voix en moi me répétait que c’était peut-être parce qu’elle avait peur et qu’elle n’osait pas. Ce qu’elle me dit cette soirée-là, je le gardais pour moi, car ses insécurités n’étaient pas des sujets de conversations. Elle était une personne ouverte, joyeuse, sûre d’elle-même. Et pendant quelques instants, je l’ai vue complètement perdue, demandant de l’aide. Et j’ai échoué lamentablement.

Ce fut la seule fois que je la vis ainsi. Moi qui l’avais admirée auparavant pour être un contraste éclatant à moi, qui étais plus calme, moins extravagante, davantage dans ma tête, j’étais tombée irrévocablement amoureuse d’elle. Elle brillait davantage depuis que je connaissais une partie d’elle qu’elle ne montrait à personne. Je ne pouvais pas la quitter des yeux, mais elle quittait constamment mes côtés. Si nous n’avions jamais été plus proches émotionnellement, jamais nous n’avions été aussi loin l’une de l’autre. Nous ne traînions plus autant et lentement, la distance augmenta entre nous. Je finis par la perdre de vue, mais jamais elle ne quittait mes pensées.

Nous nous sommes revues quelques fois par la suite, rencontres toujours plutôt courtes. Chaque fois, elle semblait heureuse de me revoir et j’avais une boule de chaleur grandissante en moi. Son éclat grandissait toujours davantage, semblait-il. On ne reparla jamais de ce qu’elle m’avait dit cette nuit d’Halloween. La dernière fois que je l’ai vue, je lui ai finalement avoué ces sentiments que j’avais pour elle et que j’avais tenté de nier. J’avais tellement peur de la perdre puisqu’elle était une des personnes qui comptaient le plus dans ma vie.

- Je suis désolée.

Et je compris.

Dès lors, nous ne parlions plus, nous n’écrivons pas. Un mur de silence nous séparait. Et j’ai commencé à vouloir violemment l’oublier. Je réussis à le faire au prix de nombreuses blessures intérieures. Le temps aidant ce genre de choses, je finis par guérir, ne laissant qu’une cicatrice qui ne disparaîtrait jamais.

Je ne sais pas ce qui est advenu d’elle, comment elle a vieilli. A-t-elle fait la paix avec ses démons intérieurs? A-t-elle trouvé quelqu’un qui savait trouver les mots pour éclaircir les doutes? Est-elle heureuse? Une partie de moi la recherche toujours dans les femmes que je rencontre, tentant de retrouver cet éclat de lumière qui m’avait accompagné un temps. Je ne me souviens d’elle que lorsque je rêve d’elle, de temps à autres, ramenant son souvenir vif et éclatant. Alors, je m’enferme dans une bulle jusqu’à ce que son fantôme disparaisse et que je l’oublie à nouveau. Jusqu’à la prochaine visite.

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