February 6, 2013

Elena - Deuxième partie

Il ne mangeait plus, il ne dormait plus. Il ne faisait que rêver d'elle. Dès que Sylver fermait ses paupières, il revoyait son visage aux traits fins, ses yeux bleus emplis de douceur, son sourire enchanteur. Il croyait entendre partout sa voix calme et son rire cristallin. Il était distrait et son père le lui reprochait. Lui, fils parfait, héritier idéal, tombait dans un abysse profond que l'on appelait amour.

Une question le rongeait depuis qu'il avait quitté le royaume de sa princesse. Comment diable allait-il la ravir à ses gardiens? Il ne pouvait risquer de s’aliéner un allié important pour la compagnie. Il était un des piliers fondateurs afin de la rendre internationale. Cependant, il lui était impossible d’oublier la demoiselle. Il ne désirait qu’être en sa présence, mais pour cela il lui faudrait trouver un moyen de quitter l’Italie pour les États-Unis d’Amérique.

Moriatti père n’était pas prêt à laisser partir ainsi son fils unique sur un autre continent. Un second voyage dès son retour lui semblait déraisonnable, surtout si ce n’était pas lié aux affaires. Cependant, il était d’avis que Sylver avait besoin de vacances. Il avait fait d’énormes progrès récemment, mais, depuis New York, il semblait ailleurs. Il ne pouvait compter sur lui lorsqu’il était dans cet état. Il ferait ce qui était dans le meilleur intérêt de la compagnie et s’il devait renvoyer temporairement son héritier, il le ferait. Il n’avait que faire d’un homme qui se comportait en enfant!

C’est ainsi que Moriatti fils fut envoyé se ressourcer en France. Il pourrait ainsi en profiter pour travailler son français. Son père s’était montré clair; il devait se reprendre d’ici un mois sans quoi sa position au sein de la famille serait compromise. Toutefois, le jeune homme avait d’autres plans. Dès son arrivée en terre française, il échappa à son escorte et prit le premier vol pour New York. Il n’avait que quelques heures afin de décider ce qu’il allait faire en atterrissant et il ne pouvait gaspiller une seule seconde. Son avenir en dépendait.

Il avait exactement un mois. Dans sa chambre d’hôtel de luxe, il faisait les cent pas. Il devait rencontrer Elena ce soir et il était terriblement nerveux. De plus, son père s’était aperçu de sa fugue et il était furieux. Ils avaient eu une petite conversation et il était clair qu’aucun d’entre eux n’était prêt à céder. Il devait agir vite.

C’était au même bar qu’ils se rencontrèrent, celui où Elena l’avait emmené il y a quelques semaines. Il la reconnut immédiatement, éclatante dans la lumière du soir. Drapée d’argent, elle était une étoile parmi les mortels. Dès qu’elle entra dans la salle, il eut l’impression que le monde cessa de tourner. Il la regarda approcher, le cœur battant. Pourtant, quelque chose n’allait pas. Elle ne souriait pas.

Sylver avait les sourcils froncés tandis que la jeune femme prit place à côté de lui. Elle ne prit qu’un verre d’eau alors que lui-même sirotait un verre de whisky.

- Bonsoir, Sylver. Je ne m’attendais pas à vous revoir si tôt…

Sa voix était telle une caresse, cependant il y décela une réserve nouvelle.

- Elena, heureux que vous avez pu vous libérer si rapidement. Je… - Je ne peux continuer à vous voir, l’interromnpit-elle. C’est la seule raison pour laquelle je suis venue ce soir.

C’était franchement inattendu comme réponse. Il avait pourtant cru qu’ils partageaient cette connexion depuis leur rencontre. Il l’avait certes ressenti lors de leur précédente soirée ensemble. S’était-il fait des idées?

- Tu… tu sais pourquoi, Sylver. Je vais être mariée dans un mois. Je ne peux pas… M’attacher à toi ne ferait que rendre les choses que plus difficiles.

Une lueur de compréhension et de soulagement illumina le regard de l’Italien. Alors elle ressentait la même chose que lui, cette attraction irrésistible. Il pouvait comprendre ses peurs, mais une solution était possible, non?

Ne pouvait-elle donc pas rompre son engagement? Impossible, arrangement de longue date avec des amis de la famille. L’aimait-elle? Non, mais elle a toujours su qu’elle serait sa femme un jour, ils étaient amis d’enfance, elle l’aimait à sa manière. Et lui? Pas amoureux non plus, mais pas sans affection.

- Partons, alors! Toi et moi!

Elle rit, douce et amère. L’enthousiasme désespéré du jeune homme lui faisait mal, car elle n’y pouvait rien. Et Sylver savait qu’elle était liée, que ça ne lui plaisait pas plus qu’à lui, et ça lui brisait le cœur.

- Pour aller où? - Peu importe, le monde nous appartient! À nous deux, nous pouvons tout! - Ne soit pas ridicule, nous vivons de l’argent de nos pères. Ils nous couperont, nous forceront à rentrer sous leurs termes.

Recommencer à zéro? Non, il valait mieux laisser les choses telles qu’elles étaient. Jamais il n’aimerait personne comme il l’aimait, il le savait au fond de son âme. Elle était sienne et il était à elle entièrement. Le monde avait simplement voulu qu’ils naissent séparés, les empêchant ainsi de se retrouver à temps. Il aurait toujours été trop tard de toute façon…

- Alors oublions demain. Profitons de cette dernière soirée, car elle nous appartient.

Le sourire triste, il lui offrit son bras qu’elle prit sans hésiter. Elle pouvait lui accorder cette dernière requête, demain était un autre jour. Alors, la sentant s’agripper à lui, il la guida hors du bar pour profiter de la nuit à peine commencée dans les rues bondées de New York.

Tout n’avait été que trop court, bien sûr. Il ne regrettait rien, car il pouvait au moins emporter le souvenir de son parfum envoûtant, de ses cheveux d’or les drapant tous deux, de sa peau de pêche contre la sienne. Une seule nuit qui se termina trop rapidement, car elle partit avant que le soleil ne se pointe à l’horizon. Il avait été à moitié endormi lorsqu’elle quitta la chaleur de son lit, mais il n’avait pas tenté de la retenir. C’était inutile, tout ce qui était important avait déjà été dit la veille. Il ne pouvait que la laisser aller, il ne pouvait que tenter de continuer à vivre sa vie comme si elle ne s’y était jamais arrêtée.

Les semaines qui suivirent furent un enchaînement chaotique de fêtes, boissons et demoiselles de toutes sortes. Il ne voulait pas oublier, c’était impossible de toute façon, mais c’était sa façon de faire son deuil et de passer à autre chose. S’il voulait se rappeler à jamais des heures trop peu nombreuses qu’il avait passées en compagnie de son ange, il devait occuper ses pensées pour ne pas trop souffrir de son absence. Rien n’était comparable à elle, mais cela suffisait. Cela suffirait.

Avant de repartir pour l’Italie, Sylver fit une dernière folie. Après, il serait irréprochable et son père pourrait classer cet épisode comme crise d’adolescence tardive. Ils n’en parleraient plus et il ne recommencerait plus jamais. Mais avant, il devait faire une chose.

Son vol était le jour du mariage d’Elena. Il se présenta à l’église discrètement et assista à la cérémonie de la dernière rangée. Il voulait la voir heureuse, question de graver une dernière fois son image dans son esprit. Il ne pouvait être vu d’elle, cependant, et il savait à quel point c’était injuste, mais il avait besoin de cela pour éviter d’être tenté de revenir. La princesse ne voulait pas être sauvée, il devait s’en rappeler.

Alors qu’elle embrassait son nouvel époux, souriante et aussi heureuse qu’elle pouvait l’être dans de telles circonstances, il s’éclipsa et prit la direction de l’aéroport. Jamais il ne remettrait les pieds à New York. Son conte de fée était terminé et il ne vivrait pas avec elle, heureux jusqu’à la fin des temps. Mais tout n’était pas sombre, il était physiquement plaisant, riche et héritier d’une compagnie bientôt internationale. Il ne finirait pas seul, il ne perdait pas espoir. Il était jeune et il y avait encore tant de pays à explorer…

Fin.

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